Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Sa vie et son œuvre, d'après divers documents recueillis sur les lieux, sont élogieusement relatées en 4 pages qui lui furent consacrées dès 1835 par M. Depéry, vicaire général de Belley, dans son Histoire hagiologique. On en trouvera ci-dessous l'intégralité :
"MARTIN JULLIAND. Martin Julliand naquit le 15 juin 1768 à Champfromier en Michaille, de parents plus riches en vertus qu'en biens de la terre. M. Genolin, son curé, dont nous venons de parler (Jean-Antoine), avait remarqué en lui de grandes dispositions pour la piété et pour l'étude ; il lui enseigna les premiers éléments de la langue latine et le plaça ensuite à Lyon, au collège des Jacobins. Le jeune Julliand fut constamment un des premiers dans ses cours d'humanités, de rhétorique et de philosophie. Ses succès ne l'enflèrent point. Dévot sans affectation, doux, complaisant, aimable, il fut l'ami de tous ses condisciples. En sortant du collège des Jacobins, il entra au séminaire d'Annecy. Il y avait fait sa théologie et reçu le diaconat, lorsque les Français envahirent la Savoie, une maladie cruelle le retenait au lit dans ce moment et l'empêcha de se joindre aux nombreux ecclésiastiques qui fuyaient devant l'armée républicaine ; mais dès qu'il fut un peu remis, il se hâta d'aller rejoindre M. Genolin dans le canton de Fribourg. Les conseils de ce vénérable pasteur étaient pour Julliand des oracles qu'il était accoutumé à respecter dès la plus tendre enfance. Obéissant à sa voix, notre jeune diacre se rendit à Fribourg où, en 1793, il reçut la prêtrise des mains de Mgr Lentzbourg, évêque de Lausanne. Il partit aussitôt après et revint à Champfromier, muni de pouvoirs pour exercer le saint ministère dans les diocèses d'Annecy et de Saint-Claude.
"Les catholiques discrets savaient seuls que Julliand était prêtre. Ils le secondèrent beaucoup dans l'exercice de son périlleux apostolat. Son activité, son zèle, semblaient le multiplier pour le rendre présent partout où son ministère pouvait être de quelque utilité. Les montagnes les plus escarpées, les neiges, les torrents, les sbires de la tyrannie, ne purent jamais l'empêcher de porter les secours de la religion dans les hameaux les plus éloignés où il était appelé toutes les nuits. Dès le matin, malgré ces rudes fatigues, il était de retour à Champfromier et se rendait avec ses frères aux travaux de la campagne. Ce pénible stratagème le préserva quelque temps de la persécution des ennemis de la religion qui, le voyant vêtu d'habits grossiers, maniant la bêche et le boyau, ne soupçonnaient pas qu'il fût prêtre. Cependant l'excès de son zèle le décela, et le bruit de ses œuvres attira sur lui l'œil étincelant des agents d'un pouvoir sanguinaire. Il fut arrêté et gardé à vue dans la maison de son père. Cependant comme il n'était pas sujet à la loi de la déportation, attendu qu'il n'était pas prêtre quand elle parut, Julliand fut élargi. La persécution d'ailleurs s'était un peu ralentie ; il continua donc à exercer secrètement le culte dans la maison des frères Humbert, qui était devenue comme celles des premiers chrétiens, une église ouverte à tous les fidèles. De toutes les vallées voisines, on accourait auprès du saint missionnaire qui était occupé sans relâche à confesser, baptiser, bénir les mariages, à visiter les malades, prêcher, catéchiser, enfin à remplir toutes les fonctions sacerdotales.
"Tout le poids de ce pénible ministère pesait sur lui et sur un autre courageux confesseur, M. Colliex, aujourd'hui curé d'Ambérieux, chanoine d'honneur de Belley, qui avait aussi quitté la Suisse pour venir évangéliser sa patrie. Nous ne dirons pas ici tout ce que M. Colliex eut à souffrir pour la religion pendant les temps mauvais de la persécution. Après mille combats, il fut arrêté et conduit dans la prison de Bourg en Bresse, d'où, comme saint Paul, il fut tiré d'une manière merveilleuse, la veille de l'exécution d'un jugement qui le condamnait à mort. Ce véritable soldat de J.-C. est encore vivant, et nous blesserions son humilité en nous étendant sur son compte ; mais nos neveux rediront ses travaux, ses combats et ses triomphes.
"Après le 18 fructidor an V (5 septembre 1797), la persécution s'étant réveillée plus forte, Julliand fut obligé d'exercer son zèle avec plus de circonspection : les entraves ne firent que le rendre plus ardent. A la faveur de la nuit, et conduit par des gardes fidèles, il parcourait les montagnes où il était moins exposé. Mais les ennemis de la religion étaient sur ses pas : il fut arrêté dans le mois de septembre 1797, au village de Lancrans, et conduit dans les prisons de Genève. Il en sortit bientôt pour être envoyé à l'Ile de Ré. Placé sur une charrette, garrotté avec d'autres prêtres fidèles, il eut à souffrir pendant ce long trajet la pluie, le froid, les insultes d'une populace grossière, les mauvais traitements des gendarmes et des geôliers. Il faut dire pourtant qu'il éprouva plus d'une fois des consolations le long de sa route par l'intérêt que lui témoignèrent souvent de fidèles catholiques, qui lui ouvrirent leur cœur et leur bourse. Les agents du pouvoir despotique, craignant que la population du Bugey ne fit des efforts pour délivrer Julliand à son passage en Michaille, l'expédièrent par Chambéry où il séjourna quelques jours. C'est là surtout qu'il vit tout ce que la religion inspirait alors de générosité aux âmes pieuses de cette ville pour soulager les nombreux ecclésiastiques qu'on y amenait de toutes les parties de la Savoie. La dure captivité de Julliand dans l'île de Ré n'abattit point son courage : on le voyait baiser ses chaînes, exhorter ses compagnons d'infortune à bénir Dieu de ce qu'il avait bien voulu les trouver dignes de souffrir pour sa gloire. Au fameux 18 brumaire an VIII (8 novembre 1799), Bonaparte s'étant emparé du pouvoir, fit relâcher les prêtres déportes. Julliand, à travers mille difficultés, accourut dans sa patrie pour y reprendre ses travaux apostoliques. Il avait fixé sa demeure à Chézery où il exerçait publiquement ses fonctions, non sans quelques précautions : on ne pourra jamais dire tout ce qu'il fit pour le rétablissement de la religion dans la Michaille. Ses constants et pénibles travaux avaient mis le dernier fleuron à la couronne du confesseur, Dieu voulut y joindre celle du martyr.
"Julliand fut appelé pour aller porter les derniers sacrements à un malade de la paroisse de Lélex distante de deux lieues de celle de Chézery. En revenant, il fut assailli par quatre apostats qui l'attendaient sur la route, au milieu des rochers et des bois. Ils le terrassèrent à coups de pierres et de bâtons. Le nouvel Etienne ne leur opposa que des paroles de douceur pour leur représenter le crime dont ils se rendaient coupables ; il priait pour eux en levant les mains et les yeux au ciel pendant qu'ils le frappaient. Les assassins furieux n'en furent point touchés, et ils n'abandonnèrent leur victime que lorsqu'ils la crurent sans vie. Julliand cependant n'était pas mort : après plusieurs heures de cruelles souffrances passées à l'endroit même où il avait été si cruellement maltraité, il se traîna avec peine au village de la Rivière, hameau de Chézery, où il mourut le lendemain 14 septembre 1801. Sa tombe, au cimetière de Chézery, a toujours été visitée depuis lors par de pieux chrétiens qui avaient connu ses vertus. Les grâces que quelques-uns d'entre-eux y obtinrent, confirmèrent que ce généreux athlète avait reçu au ciel la place que lui avait méritée son double titre de confesseur et de martyr."
Voir aussi pour Martin Julliand, quelques compléments dans la liste des prêtres de Champfromier (Rubrique des prêtres de la 24e mission, 1794-1802).
Pour François Colliex, voir le récit de son arrestation en 1796 et l'historique donné pour justifier de sa dénonciation (Demande refusée de radiation d'émigration par François Colliex, 15 mars 1793).
Publication Ghislain Lancel. Source : M. Depéry, vicaire général de Belley, Histoire hagiologique de Belley, t. 2, pp. 402-405 (1835).
Première parution le 27 octobre 2011. Dernière mise à jour de cette page, idem.